
♪ Une sorcière comme les autres, Anne Sylvestre
« Quand une femme se met en couple, elle fait en moyenne une heure de travail ménager de plus que lorsqu’elle était célibataire. La femme perd à peu près exactement ce que l’homme gagne, dès la mise en ménage et avant l’arrivée d’enfants. » (Christine Delphy, 2003)
Il y a encore des gens qui se demandent pourquoi les femmes quittent leurs maris ?
Mais une fois quitté, le mari, que se passe-t-il ? Entrons-nous dans la liberté tant recherchée, « gagnons-nous » du temps ou plutôt, comment celui-ci se réorganise-t-il ? Car si l’« arrivée » d’enfants n’est pas la variable principale qui plombe les femmes dans le travail ménager, une fois arrivés ces petits zouzous sont bien là. On les a voulus, on les a eus (même si parfois on ne les a pas nécessairement voulus) mais ils sont là et ils sont avec nous. Majoritairement, les enfants restent avec maman, et on ne va pas nous-même dire qu’on aurait préféré s’en débarrasser avec papa (si par hasard il avait exprimé ce souhait).

Là encore, les configurations sont multiples : « droit de visite normal » (voir Les femmes sont occupées), garde alternée, moitié des vacances, un weekend sur deux, une semaine sur deux… ou bien parfois le papa n’est pas dans le paysage, qu’on l’ait voulu ainsi ou non (là encore, bien sûr, les configurations sont multiples : on l’a perdu en route, on l’a quitté en route, il nous a quittée en route – souvent pour plus jeune et plus fraîche, on n’en voulait pas au départ…) La question qui se pose alors est de savoir comment être pleinement mère sans n’être que cela. L’assignation au travail maternel est un angle mort béant qui vient se loger jusque dans nos luttes sociales et politiques, aussi libertaires soient-elles : comment trouver notre place dans ces luttes en tant que mères (surtout si on est « isolée ») ? La plupart des milieux militants nous rejettent inconsciemment par leurs pratiques – non qu’ielles ne soient pas prêt·es à « donner un coup de main », ou à prendre parfois leur tour de garde : il y a vraiment une résistance à penser radicalement et de manière systémique l’indisponibilité d’esprit et de corps pour cause « familiale » ou « ménagère », les moyens d’en sortir et de nous inclure toutes.
Comment nous investir dans nos luttes sans déléguer notre rôle à d’autres – d’autres femmes plus pauvres, plus noires, qui s’en occuperaient pour nous, ou plutôt comment penser la parentalité avec d’autres, avec les autres, dans une sororité qui se nourrit de nos luttes communes (thèmes pourtant travaillés et explicités, par exemple par bell hooks) ?



Manifestation du 28 novembre 2020 à Paris. Installation mobile et solidaire réalisée par Maman Rodarde avec l’aide de @greenwitch3, @plumerouille et d’autres manifestant.e.s » (photos @greenwitch3 et @plumerouille)
Il est étrange de constater à quel point nous sommes aujourd’hui capables de nommer les défaillances du système patriarcal, mais que nous sommes encore en grande difficulté pour penser des solidarités concrètes dès maintenant. Nous avons tendance à penser les mères et les non-mères comme une binarité, sans prendre en compte la multiplicité des principes entre les deux. Il pourrait (devrait ?) exister, il existe probablement différentes manières d’élever des enfants et la charge ne devrait pas incomber seulement à la dite « mère ». Des sections, des intersections se forment en se positionnant sur cette polarité. Ainsi, il reviendra souvent à des collectifs de mamans de s’auto-organiser. Il est déjà difficile d’ailleurs pour ces collectifs de se constituer, voire de s’entendre – même l’écoute est une qualité que nous peinons à (re)trouver. Alors on ne finit jamais de penser les différentes sphères sans que celles-ci ne parviennent à se rencontrer.
Pourtant, il y a certainement un univers (plein de promesses non vaines ?) à entrechoquer les différentes sphères, tout autant que les âges, à penser les solidarités mixtes ? et à faire des communautés effectives efficaces pour pouvoir par ailleurs penser d’autres luttes ? Puisqu’il semblerait qu’aujourd’hui il est difficile de participer aux luttes sans mettre de côté sa vie personnelle, familiale. Sans cesse le niveau d’implication, d’efficacité est évalué par les pairs, sauf que peut-être l’erreur est ici, précisément : reproduire dans nos communautés un système compétitif qui finalement travaille la culpabilité plutôt que l’empathie, la solidarité concrète, la sororité. Plus on serait nombreuses à autoriser notre vulnérabilité et nos doutes s’exprimer sur la scène sociale, moins nos vies ressembleraient à des foutues compétitions. Nous gagnerions certainement à accepter nos défaillances, nos sorties de route, en arrêtant de penser que ce sont des faiblesses.
